L'Agiflex : sans prétention mais bien fait
De nombreux appareils d'après-guerre prolongèrent directement les derniers modèles des années 1930, et l'Agiflex, produit d'à peu près 1947 au tout début des années 1960 sans évolution majeure avec trois variantes (Agiflex I, II et III), fut de ceux-là. Fabriqué en Grande-Bretagne, à Croydon, par la société Agilux, il s'agissait d'un intéressant reflex mono-objectif à rideaux en toile, de format 6x6 sur rollfilm 120, doté d'une courte gamme d'objectifs interchangeables "maison": 3,5/80, 5,6/160, 5,6/240 et 5,6/300. Ces objectifs se complétaient d'un jeu de bagues-allonges, d'un statif repro et même d'un adaptateur microscope.
D'un design austère, l'Agiflex était calqué sur le premier Reflex-Korelle produit en Allemagne par la société Curt Bentzin. Il reprenait, quasiment à l'identique, le miroir directement actionné sur le déclencheur via un système de biélettes. Ce procédé, repris sur quelques reflex 24x36 comme le Rectaflex, a l'avantage d'être très simple donc totalement fiable, de restaurer la visée dès qu'on relâche le déclencheur et de diminuer considérablement les risques de bougé. Ce dernier point n'est pas du tout négligeable sur un 6x6 où le miroir est assez lourd: il n'y a pas si longtemps, par exemple, les Bronica de la série ETR vibraient pas mal au déclenchement aux vitesses lentes (1/4 à 1/30s surtout). En revanche, le miroir "manuel" de l'Agiflex ralentit beaucoup la prise de vues car la course du déclencheur est inévitablement très longue.
La similitude entre l'Agiflex et le Korelle se prolongeait par l'armement. Celui-ci était combiné à l'avance du film, à gauche, par levier (au pied duquel se trouvait le compteur de vues), alors que le barillet des vitesses rapides (jusqu'à 1/500s) était à droite, à côté de celui, plus petit, des vitesses lentes (1/10s à 2s). Le lien entre armement et déclenchement, comme sur le Korelle d'avant-guerre, était assuré par un câble de frein de vélo miniaturisé qui circulait dans une gouttière. Disposition qui, sur le Korelle, s'était avérée un désastre car ce câble, en acier tressé, se détendait très vite et finalement s'effilochait, aussi l'appareil ne fonctionnait plus. Pis, sur le Korelle, le couloir trop étroit où circulaient les rideaux conduisait à fausser les vitesses dès que ces rideaux n'avaient plus leur prime jeunesse. Le Korelle, de ce fait, était la terreur des réparateurs! Alors qu'après-guerre, Curt Bentzin repensa complètement son Korelle pour en faire un modèle sérieux et assez fiable (le Meister-Korelle), la firme de Croydon conserva l'ancienne disposition mais en l'améliorant: le câble fatal fut remplacé par une sorte de fil de pêche, en nylon, et, apparemment, la place pour les rouleaux de l'obturateur fut agrandie, de sorte qu'ils ne coinçaient plus.
Cette cure, invisble au profane, produisit de spectaculaires résultats. En effet certains Agiflex connurent un usage professionnel assez intensif et ceci pendant près de vingt ans parfois! J'en ai encore vu en état de marche à Bièvres à la fin des années 1990! Mais, sans autre modernisation que la synchronisation pour le flash électronique et le traitement bleuté des objectifs, sans grand-angle ni pentaprisme, sans présélection automatique du diaphragme, et porté par une trop petite marque dans un marché restreint, l'Agiflex fut englouti par d'autres reflex mono-objectifs 6x6 bien plus modernes: le Praktisix à partir de 1954 qui en reprit la forme (ou celle du Korelle
) mais nullement la calamiteuse mécanique, le Hasselblad 1600F puis 1000F et 500C, et les Bronica dont les premiers modèles, eux aussi, étaient à rideaux. |
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