Les années 1970 : changement dans la continuité
Makinon 3,5/28-80 : start-up à la japonaise.

Les débuts de Makina Optical, entreprise sans lien avec la célèbre chambre à main Makina Plaubel, furent modestes et besogneux: au début des années 1970, quelques tourneurs, plus soucieux de solidité que de haute précision, entreprirent de fabriquer des objectifs complémentaires dans un garage acquis par une petite équipe d'opticiens d'une hardiesse sans pareille. À vrai dire, la vogue des reflex 24x36, désormais très faciles à utiliser mais dont l'extraordinaire perfectionnement ne s'était pas obtenu au détriment de la fiabilité, encourageait un nombre croissant d'indépendants à proposer des optiques de substitution aux reflex des grandes marques. Aussi, dès la fin des sixties, des marques comme Komura et Soligor avaient offert des téléobjectifs à luminosité extrème et des fish-eyes, cependant que les multiplicateurs de focale permettaient, ou presque, à l'amateur de doubler sa panoplie d'angles de champ avec un investissement modeste.

La solution de l'objectif à focale variable est très ancienne et connut d'abord le succès en cinéma. Mais, à part de rares tentatives comme le 2,8/36-82 du Voigtländer Bessamatic (remarquable mais encombrant et coûteux, donc aujourd'hui très rare) ou le Nikkor 3,5/43-86, en photo, elle fut longtemps réservée aux téléobjectifs, plus aisés à construire. Au milieu des seventies, cependant, les 35-70 commencèrent à se répandre. L'idée de zooms trans-standard encore plus ambitieux, notamment du côté des grands-angulaires, commença à prendre corps chez les indépendants, au grand dam des fabricants de boîtiers sensiblement plus prudents.

Le coup d'envoi fut lancé par Tokina, qui présenta à la Photokina de 1976 un prototype de zoom 4/28-85, produit en série à partir de 1978. Cependant, cet exemplaire fut volé lors du salon, et le constructeur lança un regard noir vers Makinon qui réussit à commercialiser, quasiment en même temps que lui, le 3,5/28-80 présenté ici. En fait, les deux objectifs, à part une gamme de focales très proche, différaient sensiblement: le Tokina était un peu moins lumineux et plus ventru, mais sa mise au point ne changeait pas avec la focale, tandis qu'avec le Makinon il fallait refaire le point à chaque modification de celle-ci, ce qui était moins pratique. D'autant qu'on n'avait pas l'autofocus! Remarquons que l'un et l'autre bénéficiaient d'une ouverture invariable avec la focale. Cet avantage réel, acquis au prix d'une complexité technique non négligeable (le diaphragme s'ouvrait peu à peu en augmentant la focale pour compenser la perte de luminosité), fut presque complètement abandonné par la suite.

De tels objectifs firent d'emblée sensation: comme je l'indiquai à l'époque dans le Nouveau Photcinéma (N° 73 de Novembre 1978), "c'est surprenant, on adapte exactement l'image à la réalité, au lieu d'essayer de la faire rentrer de force dans l'objectif ou de la grossir pour qu'elle ne soit pas ridicule, en changeant de point de vue, ce qui n'est pas forcément la bonne solution, même lorsqu'elle est possible. En quelques secondes, on trouve le cadrage et l'angle de champ parfait dans 80% des cas (dans les autres 20%, il faut un 21 et un 200mm) sans avoir à changer trois fois d'optique et à lasser vos compagnons de route".

J'ai été pendant huit ans (1977-85) le second testeur d'objectifs en France, derrière J.-P. Hamadache de la FNAC, avec au total plus de 500 optiques testées, et j'ai disposé pendant tout ce temps d'un banc électronique Ealing Eros 200 prêté à ma revue par Fuji-Film-France. Cet excellent appareil, qui fut ensuite acquis et longuement utilisé par Chasseur d'Images, réussissait l'étrange mélange de rusticité et de sophistication typique de cette période. Il donnait une mesure, certes partielle, mais bien plus objective des performances des objectifs que ce que l'on faisait auparavant avec des mires murales… et en abîmant bien moins la vue du testeur! Que penser de cet étonnant Makinon 28-80? Voici, en substance, un "remake" de mon test de l'époque… J'ai juste demandé à mon compère webmestre, Édouard Elcet, de redessiner les courbes…
Graphes du facteur de transmission de modulation (contraste) pour 40 cycles au mm (40 paires de lignes)
Je vous présente séparément, pour des raisons de simplicité, le contraste puis la définition, mais les deux sont évidemment liés: plus on demande de la résolution et plus faible est le micro-contraste local. Il existe une fonction (courbe mathématique) unissant les deux, et c'est la fonction de transfert de modulation que mesure le banc FTM…

En pratique, à F=28, les résultats se sont retrouvés, au centre de l'image, dans notre plage "exceptionnelle" avec, à f/8, 72% de contraste pour 40 paires de lignes ou 94 paires de lignes au contraste 40%. Sur les bords, en prenant une déviation de 24° par rapport à l'axe optique, les chiffres correspondants sont sensiblement moindres, respectivement 52 et 50, mais on reste encore dans la plage dite "très bonne" à condition, ce qui est normal, de diaphragmer un petit peu. De ce fait, la courbure de champ reste limitée aux coins extrèmes de l'image. Je précise que, 24 ans après ce test, j'ai étudié, pour Photographe Amateur (en conditions réelles) des zooms bien moins bons… et notamment sur des numériques censément haut de gamme!

La focale F=45, standard, ne vaut évidemment pas un bon 50mm fixe (combien de photographes s'en servent encore de nos jours?) mais reste dans la catégorie "excellent" de nos graphiques-type dès que l'on ferme un peu, avec des résultats très homogènes sur tout le champ.

À F=80, une chute sensible de piqué se constate, surtout dans la périphérie de l'image. Elle semble dûe à de la courbure de champ: il est conseillé de "visser" à f/11. En toutes focales, la diffraction reste normale. En orientation sagittale, à la périphérie, l'image, bien nette dans les deux plus courtes focales testées (et cela est un avantage assez rare à la focale F=28), a tendance à un peu trop filer dans les coins en position télé (aberration de la coma?), mais pour ce type de foyer on porte davantage attention au centre qu'à la périphérie de l'image.
Graphes de la définition en cycles/mm (paires de lignes) pour une transmission de modulation (contraste) de 40%
Mesurée le long du grand côté de l'image, une droite qui longe celui-ci tend à être déformée avec une amplitude de 0,5mm en barillet à 28mm et en croissant à 80mm, la distorsion étant nulle à 45mm.

En pratique, cela donne quoi? J'ai acquis cet exemplaire après l'essai, et pris avec de très nombreuses photos lors d'un voyage en Éthiopie. Effectivement, il donnait des images remarquablement nettes, et très bien contrastées sauf en position télé où c'était un peu doux. Sa distorsion aux deux focales extrèmes est, c'est clair, un inconvénient fâcheux (cela fait des mers creuses si l'on n'y prend pas garde, ou une rotondité de la Terre caricaturale), parce qu'il y a plus d'un quart de siècle on n'avait pas Photoshop (et encore moins Photoshop CS2) pour la corriger en tirant seulement sur un curseur. Le vignetage, certes limité aux coins, et à 28mm, était lui aussi assez agaçant, parce qu'au lieu de s'effacer par le diaphragme il avait tendance à se préciser!

Ce zoom était tout de même formidablement pratique. Il m'a amené à regarder le monde autrement, peut-être avec moins de distance qu'avec ma panoplie habituelle, mais je ne l'ai conservé que peu de temps, car il me fut volé. Par la suite, je repassai aux focales fixes avec un 2/28, un 1,4/50 et un 1,7/85 tous trois prodigieux… Je ne suis revenu aux zooms que tout récemment, parce qu'en grandes marques désormais leur qualité a fait un bon de géant et si on ne demande pas un 28-200 (focale qui fut atteinte dès les années 80, par Kiron notamment), leur seuls inconvénients restent une taille un peu excessive qui les rend trop voyants et un manque cruel de luminosité.

Après ce test, le 28-80 Makinon fut modifié plusieurs fois pour le rendre plus compact et les normes de qualité du constructeur furent contenues dans une marge de variation nettement moins fantaisiste qu'au début. Je ne pense pas que mon exemplaire était anormalement bon, mais il est clair que certains Makinon n'étaient pas très bien centrés, ils n'étaient pas les seuls, loin s'en faut. La marque caracola en tête des ventes pendant trois ou quatre ans, mais comme je l'ai indiqué dans "Un siècle", vers 1981, le public se passionna de moins en moins pour les reflex et s'imagina pouvoir les remplacer par d'immondes petits blocs-notes tout automatiques à focale fixe, en un véritable nadir de la créativité. De ce désastre Makinon mourut, tout comme Cimko, Kiron, Magnon, Osawa, Panagor, Sun, Tokura, Topman…


D'autres, tels Hanimex, Hoya, Toshiba, Vivitar…, se replièrent vers des créneaux de vente plus lucratifs. Seuls trois fabricants exceptionnellement courageux et entreprenants, Sigma, Tamron et Tokina, réussirent à passer les séismes de la généralisation de l'autofocus et de la migration vers le reflex numérique en effectuant une effroyable "traversée du désert" de vingt années.

Je vous ai livré ce test à titre, disons, archéologique… Parce que je ne prétends pas que si, aujourd'hui, vous achetez, pour le prix d'une bouchée de pain, ce zoom, il aura les mêmes performances que celles qu'il m'a fournies. Les verres à haut indice, ça vieillit… Un vieux Nikkor, un vieux Minolta Rokkor, un Leitz ou un Takumar, en général ça ne bouge pas trop… Mais un Makinon? En 28 fixe, sans doute (Makinon faisait un très bon 2,8/28)… Pour le reste, faites, aujourd'hui, vos essais, et amusez-vous bien. Et si, après tout, votre Makinon vous déçoit, prenez-en tout de même le plus grand soin et rangez-le dans la vitrine (c'est un superbe objet) ou, si vous n'en voulez plus, offrez-le à un musée.