Les années 1920-1929 : à la recherche du petit format et des hautes lumières
Ihagee Patent Klappreflex: les débuts modestes d'un mécanicien d'exception
Fils du patron d’une entreprise textile, le Hollandais Johan Steenbergen (1886-1967) ne témoigna nul intérêt pour le métier de son père et, lorsque celui-ci mourut alors que le jeune homme n’avait que 18 ans, sa mère l’envoya faire des études commerciales à Dresde. Cependant cette ville était le berceau de l’industrie photographique mondiale. À 26 ans, Steenbergen fonda l’entreprise qui, l’année suivante (1913), prit son nom définitif : Ihagee.

Au début, Ihagee fabriqua des compacts 4x6,5, en suivant la vogue des Kodak Vest Pocket mais tira aussi ses revenus de chambres folding à plaques. La réalisation intégrée des composants des appareils Ihagee et le tempérament bien trempé de Steenbergen firent que la firme ne fut pas, contrairement à tant d’autres, absorbée par Zeiss-Ikon. Mieux : elle resta une propriété hollandaise en pleine RDA durant plusieurs décennies.

Cependant, sa première grande réussite fut, en 1921, un reflex mono-objectif bas de gamme : le Paff-Reflex. Ce modèle cubique, initialement conçu pour les plaques 4,5x6, fut presque d’emblée proposé aussi en exécution rollfilm 6x6. On pourrait donc le considérer comme un lointain ancêtre du Hasselblad, mais « Un siècle » vous a parlé des reflex Bosco et Ada qui sont bien plus anciens (1902). De toutes façons, l’idée était dans l’air. L’objectif simple et peu lumineux du Paff-Reflex (un ménisque d’ouverture f/6,8) permettait de proposer ce modèle à un prix avantageux, ce qui assura son succès jusqu’en 1933.

En 1923, Steenbergen embaucha un mécanicien de 19 ans qui, malgré de très courtes études, se révéla comme l’un des plus géniaux concepteurs d’appareils photo de tous les temps : Karl Nüchterlein (1904-1944). Celui-ci était d’une très grande indépendance d’esprit, ce qui lui valut, malgré l’extraordinaire succès de sa principale création, L’Exakta, de ne pas être toujours suivi au sein de sa société et, hélàs, au final, de figurer au nombre des millions de victimes de la barbarie nazie. En effet, on le réquisitionna à 40 ans pour se faire tuer sur le front yougoslave… Dès 1924, Nüchterlein mit au point le Patent-Klappreflex en version 6,5x9. Le challenge était de produire un modèle pliant original, mais doté d’une bonne rigidité, talon d’Achille de ce type d’appareil. Ce Patent-Klappreflex (en français reflex pliant breveté) était léger (1250g) et, replié, il n’occupait qu’environ 25% de son volume en ordre de marche (14x14x5cm). Dès l’ouverture, le dépoli se plaçait de lui-même à l’horizontale et le miroir à 45°. Actionné par un levier, ce miroir déclenchait l’obturateur en fin de course, puis il se remettait en place, disposition classique maintenue ensuite sur certains reflex à pellicule comme le Korelle. Cela minimisait le bougé de déclenchement, mais gênait l’instantané en raison de la longueur de la course du levier. L’obturateur, à rideaux de toile caoutchoutée, donnait les vitesses de 1/15 à 1/1000s ainsi que les poses B et Z. La sélection se faisait par un gros barillet servant aussi à l’armement. Toutefois les temps de pose n’y étaient pas directement gravés : il fallait se reporter à une table de correspondance sur le boîtier.

À partir de 1925, Ihagee compléta l’offre initiale 6,5x9 par des modèles 9x12 puis, à partir de 1927, 10x15cm. À compter de 1925, les trois Patent-Klappreflex donnaient une visée correspondant à 95% du champ, valeur remarquable dans leur catégorie qui leur valut le qualificatif de Vollbild-Reflex (reflex permettant la visée entière de l’image).

Cependant, Karl Nüchterlein n’en était pas satisfait, car il trouvait que la visée en cadrage vertical était malcommode. Aussi, à compter de 1928, le modèle 6,5x9 fut-il modifié en 9x9cm afin de recevoir un porte-dos rotatif. Celui-ci recevait désormais non seulement des plaques, mais aussi un magasin à film. On pouvait du même coup utiliser les diapositives 9x9 qui intéressaient beaucoup à partir de cette époque. Toutefois la médaille avait un sérieux revers. En effet, la notable augmentation de surface du dépoli et du miroir rallongeait le tirage, donc la focale de l’objectif de base : celle-ci fut portée de 120 à 150mm.

Dans ses différents formats, le Patent-Klappreflex fut produit presque jusqu’à la guerre. Cependant à partir de 1930, il commença à perdre de son intérêt au profit des reflex rigides. Ceux-ci, d’ailleurs, autorisaient l’emploi d’objectifs à luminosité extrême, 2/90 et même 1,5/90. D’abord montés sur des compacts à plaques 4,5x6 et 6x9cm (1929), ces fabuleux « cailloux » trouvèrent rapidement leur complément idéal avec la visée monoculaire sur dépoli dont bénéficièrent les Nachtreflex, de même taille d’image. La suprématie des Nachtreflex fut de plus courte durée, car les Exakta, à la mécanique incomparablement plus avancée, les éclipsèrent dès 1934…